C’est pas vrai ! C’est un escape game !
Première mise en ligne le 1er janvier 2018
Mise à jour le 1er janvier 2018
Nous avons trouvé particulièrement intéressant de vous proposer ici le témoignage d’une enseignante sur son retour d’expérience d’un escape game avec deux de ses classes de Seconde et de son regard sur ses élèves.
S’CAPE : Bonjour, vous êtes professeure de SVT à Lagny-sur-Marne et vous avez utilisé un escape game [1] avec vos élèves. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Nathalie LEPOUDER : Bonjour. Effectivement, cela faisait déjà pas mal de temps que j’y réfléchissais et la thématique qui me motivait était celle de la structure de l’ADN. En l’occurrence, dans cet escape game destiné à des élèves de seconde, il s’agissait d’aborder la découverte scientifique de l’ADN, et par conséquent sa structure. Chaque demi-groupe constitué de 16 élèves a pu vivre son escape game mais cela nécessite évidemment une absence de communication et donc une anticipation dans l’organisation.
S’CAPE : Pourquoi avoir choisi d’aborder cette séance sous la forme d’un escape game ?
NL : Cette partie du programme se prêtait bien à un escape game avec des activités diversifiées et il était possible de s’appuyer sur le code génétique. Même si le code en lui même est hors programme, il demeure un code avant tout !
S’CAPE : Vous dites « Cette partie se prêtait bien » : on ne peut donc pas faire des escape games tout le temps ?
NL : Non ! D’une part toutes les parties du programme ne se prêtent pas à un escape game et par ailleurs, il est important de diversifier les activités afin de stimuler les fonctionnements différents de chacun, même si les élèves aimeraient ne travailler que de cette manière.
S’CAPE : Justement comment les élèves ont-ils réagi ? Ont-ils adhéré ?
NL : L’adhésion a été d’autant plus forte qu’ils ont été totalement surpris ! Alors que la vidéo d’introduction débutait, un des élèves s’est écrié ; « Oh là là, c’est pas vrai ! C’est un escape game ! » avec un sourire allant d’une oreille à l’autre et une difficulté visible à rester sur son tabouret !
Dans l’ensemble, ils se sont montrés beaucoup plus motivés, plus actifs et les élèves habituellement en difficulté se sont montrés très impliqués en défendant leurs idées, mais surtout en étant de parfaits traqueurs d’indices.
S’CAPE : « Ils ont été totalement surpris » : vous ne les aviez pas prévenus ?
NL : Non pas du tout, ils ne s’y attendaient absolument pas et certains s’étaient même fait un film en pensant disséquer une souris car j’avais précisé qu’il fallait ne pas oublier la blouse... Nous avons débuté la séance par un rappel de la séance précédente qui portait sur les fonctions de l’ADN et nous sommes revenus rapidement sur la transgénèse pour laquelle quelques élèves avaient soulevé des questions d’ordre éthique… Cela m’a permis de rappeler que la science essayait de répondre à des questions en expérimentant, mais que l’usage des expérimentations par les sociétés pouvait être tout autre et, qu’en l’occurrence, j’étais passée du côté obscur en m’associant au professeur Russe Ian Crisprof. Puis j’ai lancé la vidéo d’introduction dans laquelle Ian Crisprof leur annonce qu’ils ont été contaminés (à l’aide du brumisateur diffuseur branché dans le laboratoire)... je les observais pendant la projection et je les voyais comprendre un à un qu’ils allaient réellement participer à un escape game….
S’CAPE : Cette scénarisation et l’immersion dans la fiction n’est-elle pas contraire aux objectifs scolaires ? Ne perd-on pas en crédibilité ?
NL : Non, il n’y a aucune perte en crédibilité ! Le professeur devient maître du jeu et les élèves comprennent vite qu’ils ne jouent pas que pour jouer, mais que chaque énigme résolue livre également des connaissances sur la structure de l’ADN.
Une fois le jeu terminé, l’antidote étant consommé [2], ils reprennent vite leur place pour un débriefing assisté d’une présentation qui leur permet de comprendre comment chaque énigme a été résolue, mais également comment chacune leur permettait de comprendre la découverte de la structure de l’ADN.
Ils ont recu par ailleurs un iBooks (ils sont équipés en iPads) sur la structure de l’ADN avec un objectif de réinvestissement de leurs connaissances puisqu’ils devaient réaliser un panneau récapitulatif pour la séance suivante.
S’CAPE : Et la place du professeur ? Votre rôle est-il différent de ce que vous faites habituellement ?
NL : Oui, mon rôle est très différent, même si habituellement je ne fais pas de cours magistraux mais des activités de découverte. Lors de l’escape game, je suis beaucoup moins visible des élèves et me contente de faciliter, faire réfléchir lorsque le chemin pris n’est pas le bon, rappeler l’écoulement du temps. Je suis en même temps beaucoup plus observatrice des élèves car seulement prise par leur démarche de raisonnement et non par les soucis techniques ou manipulatoires qui peuvent se dérouler lors d’un TP.
S’CAPE : Et avez-vous observé des choses intéressantes ?
NL : Il est effectivement très intéressant d’observer la dynamique des groupes de même que le comportement des élèves individuellement.
Dans un des groupes, des filles très compétitrices se sont associées à un groupe de garçons plus bricoleurs, conscientes qu’ils étaient plus adaptés dans ce type d’activité, ce qui leur a permis du même coup de découvrir qu’ils possédaient des domaines de compétences qu’elles n’avaient pas.
Des élèves habituellement en difficulté ont manifesté du plaisir à jouer et sont sortis de leur passivité habituelle pour dénicher les indices et participer également à la résolution des énigmes.
C’est intéressant aussi de voir comment ils s’attribuent des rôles : il y a ceux qui cherchent les indices et qui rapportent leurs trouvailles à ceux censés « réfléchir » et résoudre les énigmes…
Un petit groupe m’a particulièrement amusée car ils passaient régulièrement à côté d’une énigme : il y avait une cuvette avec tout le matériel indispensable pour l’extraction de l’ADN mais c’était comme si ils ne le voyaient pas… Il s’agissait de matériel de laboratoire et ils ont fini par me dire qu’ils n’arrivaient pas à le soustraire du restant du matériel présent dans la salle…
Plaisir aussi de voir les visages s’illuminer quand enfin l’énigme est résolue ! C’est ce que j’appelle l’eurêka jubilatoire quand on voit l’élève « tilter » et qu’il explique aux autres ce qu’il vient de comprendre !
Là où j’ai été particulièrement impressionnée c’est avec deux élèves qui rencontrent des difficultés psychologiques (déprime et dépression). Pour les deux, le plaisir était évident et avec l’un d’entre eux, alors qu’aucun adulte n’arrivait à établir de contact, le jeu a permis non seulement de l’établir, mais d’aller au delà en permettant au jeune d’accepter une aide. Pour l’autre élève, alors qu’elle était habituellement très fermée, prenant ses cours, mais sans communiquer avec qui que ce soit, elle s’est montrée acharnée à tous niveaux : débusquer les indices, résoudre les énigmes et défendre son point de vue auprès des autres comme intervenir dans le débriefing. Depuis, elle est beaucoup plus active dans les autres cours et commence à échanger avec ses camarades de classe… Rien que pour cela, je recommencerai pour revoir la joie briller dans ses yeux.
S’CAPE : Y a-t-il tout de même des points négatifs ?
NL : Le souci de l’escape game, mais c’est également vrai dans d’autres situations plus scolaires, c’est qu’il n’est pas possible de tout voir, d’où l’importance du débriefing pour que l’expérience de quelques uns devienne celle du groupe.
Il faut repérer sans trop tarder les élèves qui ne participent pas… Certains sont décontenancés car ils ne trouvent pas les indices, d’autres encore ne retrouvent pas les jalons linéaires qui les rassurent… Il s’agit de comprendre sans consignes et cela peut en déstabiliser certains… Un élève m’a confié que pour lui c’était très déstabilisant car l’école est un endroit où on apprend, pas là où on joue et qu’il avait eu du mal à se mettre dans cette disposition.
S’CAPE : Justement en quoi l’escape game était-il si différent d’un cours habituel ?
NL : Tout d’abord, il y a dans le cas présent, l’effet de surprise où les postures changent mais également le local qui est à la fois familier et complétement revisité.
Les énigmes sont imbriquées, il faut communiquer, mettre en lien, s’interpeller avec des indices livrés sans consignes et faire preuve de logique pour comprendre et faire les associations indispensables.
Un même objectif pour le groupe : s’associer dans la résolution et lutter contre le temps.
S’CAPE : Quels sont les effets positifs qui vous inciteraient à recommencer ou qui pourraient pousser les collègues à en concevoir ?
NL : Les effets positifs sont la motivation, le plaisir qu’ils ressentent qui leur permet de mieux s’investir.
La collaboration permet de favoriser l’intelligence collective : c’est le groupe qui trouve, pas l’individu.
Le réinvestissement a été de qualité, reste à voir désormais si la persistance sera plus importante, mais je pense que cela sera le cas.
Cela permet de voir les élèves autrement et de prendre conscience de compétences moins repérables habituellement.
S’CAPE : Et la création : pas trop chronophage ?
NL : Un peu, mais nous avons travaillé à deux. J’avais déjà une idée assez précise de là où je voulais les mener. Une fois les idées annoncées, il nous a fallu une journée pour créer le scénario et les principales énigmes. Le plus long a été la réalisation des documents, le script et le tournage de la vidéo d’introduction, avec le célèbre Ian Crisprof, et son montage.
Ensuite vient le temps du découpage, plastifiage, bricolage mais cela vaut vraiment la peine et je suis partie pour en réaliser deux autres : à nouveau pour les Secondes (mais le sujet est top secret) et pour mes Premières S qui jouent la carte de la grande injustice !