LearningScape
Le défi de LearningScape est de faire vivre et découvrir des notions de pédagogie sans en avoir l’air… Dans un premier temps plutôt destiné aux enseignants-chercheurs, traditionnellement adeptes du modèle transmissif et frontal, l’escape game est cependant accessible et adapté à un public plus large, mais pouvant être réfractaire à toute nouveauté : le défi est donc ambitieux, et la tâche peut-être lourde...
Il est bientôt 15 h, et le soleil est radieux quand nous arrivons au pied de la tour Montparnasse, ce mercredi 11 juillet. Nous sommes cinq, avec Noémie et Marie-Claire, invités à venir nous prêter au jeu de LearningScape. Ravis, depuis le temps que nous voulions le vivre ! Rendez-vous au vingtième étage, dans les locaux du CRI, où nous attend Jean-René [1], notre futur game master.
Tout commence par un briefing complet et décontracté, avec une vue imprenable sur Paris. Au cœur de l’open space à la décoration à la fois épurée et ludique, Jean-René nous accueille, entre une licorne géante et un squelette déguisé. Il nous présente le service Sapiens (USPC) et le CRI, dont la collaboration est à l’origine du projet, et précise le contexte de création du jeu : qui, quoi, où, comment, pourquoi… Après quelques consignes orales et écrites (une plaquette de présentation a été spécialement réalisée pour cette introduction), Jean-René précise plus finement le scénario et les objectifs visés. Nous allons prendre la fonction de marchands de sable et aider Camille à lutter contre ses pires cauchemars à la veille de sa première journée de classe.
Nous apprécions le lancement du jeu et les anecdotes qui l’accompagnent. Jean-René nous demande de ne pas arracher les câbles électriques comme François Taddei la semaine précédente. Bien accueillis et pris en charge, nous pouvons poser nos questions avant de commencer, boire un café, et passer aux toilettes… Détendus, nous sommes enfin prêts à jouer !
À la porte de l’escape room, Jean-René nous annonce formellement qu’il ne pourra nous accompagner dans cette aventure. Le doute s’installe, qui sera notre maître du jeu ? Le jeune homme disparaît, et… le temps d’une transformation, nous voici encadrés par un marchand de sable stagiaire !
Un peu perturbé le garçon… Mais il a l’air sympathique. Bon, nous nous impatientons : nous aimerions commencer !
Nous faisons enfin notre entrée dans la première salle.
« C’est de toute beauté ! »
Le décor nous plonge dans un rêve, celui de Camille, au milieu des nuages et d’un arc-en-ciel. Divers éléments viennent compléter cette atmosphère : des boules colorées, un bureau, un ordinateur, des étagères. Trois questions, trois mots-clés à trouver grâce à une fouille méticuleuse et un peu de réflexion.
Nous avons du mal à nous organiser, à communiquer. La salle est pourtant petite et nous ne sommes pas nombreux, mais nous avons des difficultés à nous approprier l’espace. La fouille est incomplète. Au fait, que cherchons-nous ? Nous sommes des marchands de sable dans le rêve de Camille, ok ! Mais que devons nous y faire ? Enfin le déclic ! Une phrase à reconstituer… Là un ordinateur qui attend qu’on réponde à ses questions. Anne et Noémie s’occupent des boules avec talent. Nous répondons assez rapidement aux autres questions et une nouvelle énigme nous est proposée… facile.
L’ordinateur déclenche un son, les joueurs peuvent sortir !
Toutes les énigmes sont résolues ! C’est donc terminé ? Éh non ! Jean-René nous embarque en Formation Arc-en-ciel et nous conseille de fermer les yeux [2] jusqu’à une seconde salle, qui cette fois, confère plutôt au cauchemar...
Nous entrons dans la pénombre d’une pièce à l’inquiétant décor de jungle. De nouveau des énigmes à résoudre proposées par un ordinateur, au nombre de huit cette fois. La collaboration joue pleinement, c’est d’ailleurs le thème d’une des énigmes. Celles-ci sont plus variées que dans la salle précédente, jouant avec les éléments ludiques comme une image à décrypter avec des lunettes 3D, une anamorphose ou des messages cachés.
À la faible lueur de quelques lampes, nous sommes cette fois bien plus organisés, et la fouille de la petite pièce est rapide et efficace. Nous communiquons davantage. Il nous faut aussi retrouver nos réflexes de profs, malgré ces vacances débutantes, et corriger quelques copies… Patrice laisse bizarrement sa place pour cette énigme et préfère s’occuper des appréciations. C’est vrai que ça fait dix ans qu’il n’a pas vu une copie d’élève !
La résolution complète des énigmes nous fournit un code, dévoilant un nouvel espace au sein de la pièce : prédateur au plafond, pluie d’insectes en tout genre, placard de la terreur… c’est l’escalade dans le cauchemar !
Peu rassurés mais forts de notre esprit d’équipe, nous affrontons quatre nouvelles épreuves. Pendant que Mélanie et Marie-Claire s’enferment dans le placard, Patrice sèche devant l’énigme sur le tableau blanc. Quand celle-ci est résolue, il enrage presque : il nous a parlé à table, le midi même, de cette astuce découverte lors d’un précédent escape game et nous nous faisons avoir ! Cet esprit conservateur que nous avons !
Une nouvelle fois en Formation Arc-en-ciel, nous retournons dans la première pièce sans même savoir que le jeu est terminé. Clap de fin, Jean-René nous félicite et jette un rapide coup d’œil à son smartphone. Nous lui demandons de nous indiquer notre performance, mais le temps importe peu ici. Il ne s’agit pas de se mesurer au chronomètre. L’essentiel est de résoudre les énigmes à son rythme, et de percevoir les objectifs du défi-évasion.
Le temps importe peu ici, mais Mélanie aimerait bien savoir quand même notre score… Ouf, il est bon !
À la demande du game master, nous nous installons en cercle. Le débriefing s’amorce, de façon décontractée, favorisant les interactions et échanges. Chaque énigme est ainsi décrite par ceux qui l’ont résolue, faisant émerger les pratiques pédagogiques mises en lumière durant le jeu. Jean-René structure le débat, nous sollicite en rappelant les étapes successives du jeu et pointe sur différentes modalités d’apprentissage et d’enseignement : alignement pédagogique, changement de posture, pratiques actives, collaboration, travail en îlot, importance du feedback lors de l’évaluation…
Nous apprécions ce moment, permettant de consolider nos connaissances, de retrouver et partager ce que nous avons vécu, de repenser à nos propres escape games et à nos pratiques pédagogiques en tant qu’enseignants et formateurs.
Le temps de deux heures, nous avons accompli un voyage à la fois onirique et cauchemardesque dans le rêve de Camille, mais néanmoins une immersion dans le réel. Quelle dualité ! Le défi-évasion conçu par Sapiens et le CRI est digne d’un vrai escape game grand public, avec ses salles aux décors changeants et recherchés, parfaitement adaptés au scénario.
Pas de matériel hors de prix ni de mécanismes complexes ici. Nous avons été impressionnés par la qualité et la richesse des énigmes conçues avec beaucoup d’astuce et d’ingéniosité, facilitant ainsi l’itinérance et la reproduction de l’escape game dans d’autres contextes. Nous apprécions beaucoup ce type de réalisation techniquement simple [3] et facilement transposable. Certains d’entre nous s’étaient fait une autre idée de LearningScape, en imaginant quelque chose à l’équipement plus complexe.
Les classiques des escape games sont bien là : fouille, puzzle, lampe UV, codes numériques et réels, cadenas, engrenages, différents messages cryptés, lettres effaçables et indélébiles… Ce sont de vraies énigmes auxquelles nous sommes confrontés : sans consignes, organisées en parallèle afin de favoriser la coopération et la collaboration, convergentes vers une résolution finale. L’intelligence collective a dû pleinement jouer pour venir à bout de toutes ces épreuves. Chaque énigme a été pensée pour correspondre à une compétence ou une pratique pédagogique : pour celle de la posture de l’enseignant il faut véritablement changer de posture, pour celle de la collaboration il faut collaborer… Rien n’est laissé au hasard, tout est justifié par la pédagogie.
Le numérique vient en support de l’escape game. Des applications, conçues par les auteurs du jeu, permettent la saisie des solutions aux énigmes, mais ne prennent nullement le pas sur le contenu et les phases de découverte ou d’apprentissage des joueurs. Un nouvel objectif pédagogique mis en exergue ici. En effet, dans une activité de classe, le numérique doit rester un outil au service de la pédagogie et non être une finalité.
L’accompagnement par le game master a toute son importance, puisque faisant partie intégrante du scénario. Jean-René joue différents rôles, à la fois cabotin, mouche du coche, mais aussi sans en avoir l’air, allié précieux. Assigné marchand de sable stagiaire et ignorant tout de la pédagogie, il donne l’impression de dissiper les joueurs et s’en amuse, tel un élève perturbateur. Mais sa mission est tout autre, il distille des informations permettant de recentrer les joueurs. Ses interventions sont à prendre en considération, même si l’on souhaiterait qu’il se taise parfois.
Souvent !
Le game master finit par se faire oublier dans la seconde salle, peut-être car, après moult sourires et soupirs, nous comprenons son rôle réel et essentiel. Il nous aide en fait, et nous éclaire, au sens propre comme au figuré… Encore une fois, ce rôle décalé du maître du jeu se justifie par la pédagogie ! C’est le guide on the side, à la posture non transmissive, qui ne donne pas la réponse et pousse à essayer. Jean-René s’éclate et déploie de beaux talents d’acteur, tout en restant vigilant et actif dans son rôle de maître du jeu. Il oriente les échanges, pose des questions, nous interpelle, prend acte des points de vue de chacun, observe, analyse nos réactions, nos échanges et interactions, nous stimule aussi ! En somme, il encourage et met en valeur les contributions de chacun comme le ferait un enseignant en classe.
LearningScape n’est pas un objet figé, loin de là ! Ce défi-évasion est évolutif, plusieurs versions ont déjà été testées et jouées. Les auteurs ont le souci du détail, et souhaitent améliorer sans cesse leurs énigmes (type, contenu) pour qu’elles collent au plus près à leur objectif pédagogique. Les participants reçoivent à cette fin par mail un questionnaire afin d’évaluer le jeu. Un feedback dans le prolongement logique de cet escape game pédagogique très réussi.
Nous poursuivons notre discussion dans les couloirs, parlant de façon plus générale des escape games, de l’engouement actuel pour ces jeux et nos divers projets. Mais Jean-René enchaîne bientôt une nouvelle session et doit nous laisser pour ranger le bazar que nous avons laissé… Nous partons ravis et enrichis de cette expérience immersive au cœur de la pédagogie. Nous décidons de prolonger la soirée chez l’un d’entre nous.
[1] Pour préserver l’anonymat de notre hôte, son prénom a été modifié.
[2] La Formation Arc-en-ciel est aussi appelée « la chenille » dans les meilleures fêtes de village. Petit conseil : obéissez et fermez les yeux, le risque de vous prendre une porte est faible, sauf si vous vous appelez Anne...
[3] La scénarisation ne l’est pas !
le 25 juillet 2018
Scénario annoncé | ✓ |
Amorce audiovisuelle | |
Final marqué | |
Organigramme | ✓ |
Scénario convergent | ✓ |
Imbrication | ✓ |
Étapes | ✓ |
Énigmes variées | ✓ |
Fouille | ✓ |
Puzzle | ✓ |
Cadenas | ✓ |
Outils numériques | ✓ |
Décor | ✓ |
Ambiance sonore | |
Effets spéciaux | ✓ |
Consignes réduites | ✓ |
Coups de pouce anticipés | ✓ |
Débriefing anticipé | ✓ |
LearningScape a été adapté en mode jeu vidéo et est gratuitement téléchargeable sur la plateforme Ikigai. Plus d’informations dans notre article sur Ikigai.